30.4.08

Aimer à peine – Michel Quint

Autant nous avions été emballés par « L’espoir d’aimer en chemin », autant nous avons refermé avec hâte « Aimer à peine », suite inutile d’Effroyables jardins.

Tout l’art d’écrire, toute la magie des mots et des situations semblent avoir abandonner l’auteur dans ce petit fascicule agaçant.

L’écriture en est saccagée, inutilement vulgaire.

Nous avons du mal à suivre le parcours chaotique d’un jeune français, stagiaire en Allemagne et qui va tomber amoureux d’une demoiselle dont il découvrira par hasard que le père fut l’officier nazi qui envoya son propre père en déportation. S’en suivront des situations proprement abracadabrantes, à grands coups de cuites à la bière et dont personne, et surtout pas l’auteur, ne sortira grandi.

A fuir au plus vite…

Publié aux Editions Joelle Losfeld – 77 pages

25.4.08

Eldorado – Laurent Gaudé

« Eldorado » traite du même thème d’actualité et de société que « Partir » de Tahar Ben Jelloun (voir la note sur Cetalir) : celui de l’immigration des peuples africains et arabes qui voient en Europe un flamboyant Eldorado.

Alors que dans « Partir », l’auteur s’attache surtout à montrer le parcours de celui qui a réussi à « brûler » la mer pour finalement peu à peu se perdre corps et âme en Espagne, Laurent Gaudé s’attache à donner à son roman intimiste et grave, profond et subtil, tout en nuances et en douleur déguisée en une douce musique poétique, un tour profondément initiatique.

Le roman est fondamentalement construit autour de trois personnages principaux dont les destins vont se croiser pour s’influencer, se transformer et aller au bout d’un voyage d’où l’on ne revient jamais.

Il y a Salvatore, sicilien et commandant de la frégate militaire Vittoria. C’est l’un des gardiens du vieux temple Europe, chargé de traquer ou de secourir les hordes sans cesse plus nombreuses, plus désespérées, plus opiniâtres, de clandestins entassés par centaines sur des rafiots de fortune, le plus souvent abandonnés en pleine mer par des marins peu scrupuleux. Il doit les arrêter et les remettre aux autorités.

Militaire exemplaire, deux rencontres vont bouleverser une vie jusqu’ici rangée. Celle, c’est le deuxième personnage qui passe telle une ombre, de la jeune femme sans nom, pour mieux marquer l’intemporalité et l’universalité, l’absence de toute considération humaine ou humaniste dans ce trafic moderne d’esclaves, que Salvatore a sauvée d’une mort brûlante, salée et certaine quelques années plus tôt.

Elle va lui réapparaître inopinément pour lui demander une aide impossible, contraire à son code de conduite, à ses valeurs mais qu’il ne saura lui refuser. Vingt années de service vont alors commencer à se lézarder et le désir de faire le chemin à l’envers, de vivre ce que vivent ces hommes et ces femmes, par solidarité et pour expier va surgir sournoisement.

C’est une deuxième rencontre avec un autre clandestin, masculin et anonyme, qui décidera de tout. Là encore, ce désespéré va demander un service impossible. Cette fois, le commandant ne pourra accepter mais il en sortira ébranlé, détruit avant de commettre un véritable acte de folle rébellion.

Il y a enfin Soleiman, africain musulman qui va connaître l’enfer. Celui des passeurs, des voleurs, des trafiquants en tous genres, de la police qui extorque, qui frappe et incendie. Celui dont le désir de passer en Europe sera plus fort que tout, plus fort que la mort, plus fort que la violence omniprésente.

Soleiman devra désapprendre tout pour survivre dans un monde hostile et brutal et où ne surnagera qu’une amitié forte avec un errant qui a su résister à sept années (sept symboliquement ?) de tribulations.

Au fil du récit, Soleiman et Salvatore, au prénom si évocateur, vont s’avancer l’un vers l’autre sans le savoir, spirituellement et physiquement. Ils vont se décharger d’une vie antérieure pour se préparer à une nouvelle vie rêvée, espérée ou impossible. Pour cela, il leur faudra beaucoup souffrir, souvent douter et faire les quelques rencontres qui changent tout et donnent la force de continuer. Il leur faudra mourir, symboliquement ou non, pour revivre.

Quant à la jeune femme, nous ne saurons jamais si elle a accompli sa mission et ce dont elle est advenue. Histoire de marquer ces disparitions anonymes et quotidiennes, ces vies qui s’éteignent dans l’indifférence et le silence, pour rien.

Laurent Gaudé mène avec un indéniable talent une partition à deux voix principales dont l’harmonie ne peut se construire que grâce à ces petits instruments de rang, anonymes et essentiels à la fois.

Dès la première page, nous sommes conquis par l’ambiance, la musique, le thème et le désir irréfrénable de poursuivre l’emporte sur toute autre considération.

C’est sans doute le meilleur compliment qui puisse être pour un livre qui fait partie sans hésitation de notre liste des meilleures recommandations.

Paru aux Editions Actes Sud – 238 pages

19.4.08

Braises – Grazia Deledda

J’avoue avoir été extrêmement déçu par ce roman du Prix Nobel de littérature 1926.

Grazia Deledda est considérée comme la représentante la plus importante de la littérature sarde. Son roman se passe d’ailleurs pour l’essentiel en Sardaigne dans un village perdu et écrasé de soleil et où pauvreté et simplicité se conjuguent pour le plus grand nombre. De nombreuses comptines et expressions en langue sarde émaillent le récit.

Anania est le fils de la faute, résultat de l’amour entre une jeune fille impétueuse, Ozi, et un saisonnier au regard ardent. Il sera abandonné à l’âge de sept ans par sa mère, célibataire, et conservera certains souvenirs précis de celle-ci, en particulier de sa voix. Sa mère disparaitra de son existence du jour au lendemain, sans aucun signe annonciateur.

Pour l’abandonner, sa mère le conduit nuitamment dans le moulin de son père où il grandira, pris en charge par l’épouse de son père qui ne peut avoir d’enfant et qui considèrera Anania comme son propre fils, « une dragée tombée par terre ».

Arrivé à l’âge de l’adolescence, il commencera d’être tourmenté par le désir de savoir ce que sa mère génétique est devenue. Elève brillant, il sera pris en charge financièrement par son parrain et tombera éperdument amoureux de Margherita, sa fille.

Mais peu à peu, dans sa tête et dans son cœur, Anania devra se livrer à un combat et un choix dont il n’arrive pas à concilier les parties. Retrouver et prendre en charge sa mère ou épouser et aimer sa fiancée. Il se laissera tomber dans une spirale dépressive, fabriquant par son attitude, ses paroles et son mal-être, sa propre perte.

Tout se terminera tragiquement…

Le thème est éternel et a été mille fois traité. Ce qui m’a laissé perplexe à un point tel que je suis en permanence resté à la surface de l’œuvre, c’est son style simpliste et dénudé.

Le vocabulaire est pauvre, les phrases sans réel intérêt artistique ou littéraire. Les tourments qui hantent les deux jeunes amoureux sont convenus, brossés sommairement, quasi cousus de fil blanc.

La psychologie est simplissime, risible. Même Harlequin fait mieux ! Il est vrai que Freud et ses descendants spirituels restaient à découvrir. Pourtant, de nombreux classiques avaient su peindre avec force la passion et les choix « cornéliens ».

Sans doute le roman était-il novateur dans les années vingt. Quatre-vingt dix ans après, il est éculé et surpassé à tous points de vue.

Seuls les collectionneurs d’incunables s’y intéresseront…

Publié aux Editions Autrement – 274 pages

12.4.08

La double vie de Vermeer – Luigi Guarnieri

Qualifier cet ouvrage de roman est à la fois un abus et une réalité. Abus car Luigi Guarnieri se livre à une reconstitution minutieuse de la vie de Han Van Meegeren (VM), peintre traditionaliste des Pays-Bas né en 1889 qui, lassé d’être sous le feu des critiques peu élogieuses de son époque, décide de se venger en livrant au monde de fausses et sublimes toiles de Vermeer. Réalité romancée, car la vie de VM fut un véritable roman.

C’est sous ce sigle de VM qu’il fut désigné lorsqu’il fut découvert quasiment par hasard lors des opérations de routine de vérification qui ont eu lieu juste après la seconde guerre mondiale sur les gigantesques mouvements d’œuvres artistiques qui étaient intervenus pour le compte ou contre l’intérêt des nazis. Il décida de révéler lui-même ce que personne au monde n’avait eu l’intuition de ne serait-ce que penser !

Le génie de VM fut de travailler pendant des années sur des techniques extraordinaires de vieillissement de toiles repeintes à partir d’authentiques réalisations de petits maîtres du XVIIe siècle. Ce fut aussi et surtout d’exploiter des trous béants dans la connaissance que nous avons encore aujourd’hui de Vermeer, peintre méconnu à son époque, mort dans la misère, même pas référencé dans les catalogues de ses contemporains et qui commença à être découvert tardivement au milieu du XIXe siècle.

Son génie fut aussi de créer ex-nihilo un chef-d’œuvre absolu de Vermeer « Le Christ à Emmaus », toile remarquable par sa qualité artistique et technique, et qui donnera le prélude à la création d’une période biblique totalement inventée.

L’auteur a effectué un travail extraordinaire de documentation, plongeant dans les vies de Proust et de Goering qui furent éblouis par Vermeer et dont Goering fit les frais du travail de VM.

L’œuvre de VM eut plusieurs objectifs : celui d’attirer l’attention du monde sur le caractère subjectif et contestable des expertises artistiques et de se faire reconnaître comme peintre authentique par le monde. Pour cela, il n’avait d’autres choix que de fondre son talent dans celui d’un authentique Maître du XVIIe siècle, objet de vénération, tout en le réinventant pour le révéler sous un jour complémentaire au monde.

Une incroyable et passionnante histoire vraie que je vous invite à découvrir sans tarder.

Publié aux Editions Actes Sud – 230 pages (denses)

5.4.08

Tocaia Grande – Jorge Amado

« Tocaia Grande » signifie « la grande embuscade ». C’est par cet acte fondateur militaire qui marqua un tournant dans la guerre que les colonels brésiliens se livraient pour la conquête des terres cacaoyères, qu’allait être baptisée la collection presque hasardeuse de quelques masures qui, avec le temps, allaient donner naissance à une nouvelle métropole régionale.

Dans son style flamboyant et lyrique, Jorge Amado donne vie à une galerie de personnages aussi pittoresques que bigarrés. C’est l’amour de la liberté, la capacité à prendre les terres offertes et non encore défrichées qui, petit à petit, attirera les pauvres, les petits et les exclus et les portera dans un élan fondateur et colonisateur.

A grand coups de tafia, n’hésitant pas à régler leurs comptes revolver au poing, vivant au jour le jour dans la bonne humeur, la joie et adeptes de l’amour libre, les membres de cette petite collectivité vont construire une structure de plus en plus riche, de plus en plus forte, jusqu’à provoquer la jalousie et la violence de leurs voisins.

Comme presque toujours chez Amado, les putes y jouent un grand rôle. Non seulement celui classique qui leur est dévolu, mais surtout celui de souder l’embryon de collectivité autour d’un même lieu et d’attirer toute une population nomade qui colportera la bonne nouvelle de la nouvelle bourgade au loin dans le sertao.

Elles y sont mères et amantes, accoucheuses apprenant sur le tas, confidentes et commères dans les griffes desquelles il ne fait pas bon tomber ! Elles sont le lien social et le ciment des couples officiels.

La richesse d’Amado est aussi celle du Brésil. C’est de savoir rassembler des hommes et des femmes de toutes races, de toutes couleurs, de toutes religions. On y trouve Castor, le nègre débonnaire et farceur, fétichiste et amoureux des belles femmes, forgeron habile et poète à ses heures.

Il y a Fadul, le Libanais maronite, dit « Le Turc », force de la nature, marchand ambulant dont la sédentarisation à Tocaia Grande donnera le la d’un processus plus générique. Fadul est à la fois un sage, un visionnaire, un sanguin et un homme à femmes, dont les imprécations en arabe agressent le dieu des maronites à caque nouvelle injustice.

Il y a aussi Natario le Capitaine, le métis, garde du corps du Colonel, tueur redouté et redoutable, infatigable, dévoué et juste. C’est lui qui saura voir en ce lieu grandiose et vierge le siège de la future petite ville et lui qui en lancera la fondation lorsque le colonel lui donnera des terres en signe de reconnaissance pour lui avoir sauvé la vie.

Il y a des dizaines d’autres personnages délurés et féroces, joueurs et espiègles, vivant innocemment dans le péché et dont les aventures, la vie et la mort, rarement douce, rythme la construction de Tocaia Grande. La grandeur d’âme et la générosité en sont un dénominateur souvent commun.

Pourtant, il manque le grain de folie, le délire absolu, la faconde qui nous avaient enchanté dans « Dona Flor et ses deux maris ». Tocaia Grande finit alors par traîner un peu en longueur, manquant parfois de rythme et d’inventivité. On s’y ennuie un peu, par moments.

Un beau roman, mais pas le meilleur roman de ce grand auteur brésilien que fut Jorge Amado.

Publié aux Editions France Loisirs – 515 pages