« Tocaia Grande » signifie « la grande embuscade ». C’est par cet acte fondateur militaire qui marqua un tournant dans la guerre que les colonels brésiliens se livraient pour la conquête des terres cacaoyères, qu’allait être baptisée la collection presque hasardeuse de quelques masures qui, avec le temps, allaient donner naissance à une nouvelle métropole régionale.
Dans son style flamboyant et lyrique, Jorge Amado donne vie à une galerie de personnages aussi pittoresques que bigarrés. C’est l’amour de la liberté, la capacité à prendre les terres offertes et non encore défrichées qui, petit à petit, attirera les pauvres, les petits et les exclus et les portera dans un élan fondateur et colonisateur.
A grand coups de tafia, n’hésitant pas à régler leurs comptes revolver au poing, vivant au jour le jour dans la bonne humeur, la joie et adeptes de l’amour libre, les membres de cette petite collectivité vont construire une structure de plus en plus riche, de plus en plus forte, jusqu’à provoquer la jalousie et la violence de leurs voisins.
Comme presque toujours chez Amado, les putes y jouent un grand rôle. Non seulement celui classique qui leur est dévolu, mais surtout celui de souder l’embryon de collectivité autour d’un même lieu et d’attirer toute une population nomade qui colportera la bonne nouvelle de la nouvelle bourgade au loin dans le sertao.
Elles y sont mères et amantes, accoucheuses apprenant sur le tas, confidentes et commères dans les griffes desquelles il ne fait pas bon tomber ! Elles sont le lien social et le ciment des couples officiels.
La richesse d’Amado est aussi celle du Brésil. C’est de savoir rassembler des hommes et des femmes de toutes races, de toutes couleurs, de toutes religions. On y trouve Castor, le nègre débonnaire et farceur, fétichiste et amoureux des belles femmes, forgeron habile et poète à ses heures.
Il y a Fadul, le Libanais maronite, dit « Le Turc », force de la nature, marchand ambulant dont la sédentarisation à Tocaia Grande donnera le la d’un processus plus générique. Fadul est à la fois un sage, un visionnaire, un sanguin et un homme à femmes, dont les imprécations en arabe agressent le dieu des maronites à caque nouvelle injustice.
Il y a aussi Natario le Capitaine, le métis, garde du corps du Colonel, tueur redouté et redoutable, infatigable, dévoué et juste. C’est lui qui saura voir en ce lieu grandiose et vierge le siège de la future petite ville et lui qui en lancera la fondation lorsque le colonel lui donnera des terres en signe de reconnaissance pour lui avoir sauvé la vie.
Il y a des dizaines d’autres personnages délurés et féroces, joueurs et espiègles, vivant innocemment dans le péché et dont les aventures, la vie et la mort, rarement douce, rythme la construction de Tocaia Grande. La grandeur d’âme et la générosité en sont un dénominateur souvent commun.
Pourtant, il manque le grain de folie, le délire absolu, la faconde qui nous avaient enchanté dans « Dona Flor et ses deux maris ». Tocaia Grande finit alors par traîner un peu en longueur, manquant parfois de rythme et d’inventivité. On s’y ennuie un peu, par moments.
Un beau roman, mais pas le meilleur roman de ce grand auteur brésilien que fut Jorge Amado.
Publié aux Editions France Loisirs – 515 pages
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