18.11.06

Les jouets vivants – Jean-Yves Cendrey

Dès le départ, Jean-Yves Cendrey nous fait plonger, sans respiration préalable, dans l’univers nauséabond, écœurant et sans repère d’une ferme, perdue au milieu de nulle part et où tout part à la dérive : le propriétaire, dont on comprend assez vite qu’il s’agit de l’auteur, les animaux qui se font exécuter, littéralement, parce que trop de mal-être doit s’exprimer, ce que l’on finit par comprendre après, ou le bâtiment qui part en quenouilles.

Puis se dessine l’ombre gigantesque du père dont l’heure des funérailles est arrivée. Une cérémonie à laquelle l’auteur refusera de se rendre, saisissant un faible prétexte qui se donne à lui, presque par hasard.

On devinera petit à petit que ce père fut odieux, pervers et con. Les comptes ne sont pas encore complètement réglés entre son fils, malgré lui, et ce père, haï.

De là, l’urgence d’une vie nouvelle s’imposera. Le choix de la bourgade de X, en pleine Normandie, du côté de Bayeux, qui se fera uniquement parce que le budget des jeunes acheteurs ne permettait pas d’autres fantaisies et que ce jour là, sous un rare soleil, la bourgade parut charmante. Tromperie sur la marchandise…

L’enfer va se révéler par petites touches, dans la maison acheté d’abord, puis celle bien plus grande, collective, comme une maladie honteuse, exposée à la face de tous.

Le livre de J.Y. Cendrey est d’une totale férocité. Il met à nu la loi du silence qui peut régner tout autour de nous même quand tout le monde sait mais que personne ne veut voir, dire ou agir.

Il faudra le courage, puisé dans l’enfance de l’auteur qui a su y trouver les ressources pour oser vivre, pour que celui-ci amène les victimes de l’Enseignant pédophile à révéler l’indicible, à accepter de dire puis de porter plainte et de témoigner à charge.

J.Y. Cendrey décrit par le détail, de façon obsessionnelle et journalistique, l’incroyable capacité de l’Education Nationale et des Institutions à nier les faits, malgré les preuves accablantes, à traiter les affaires de pédophilie, apparemment suffisamment nombreuses partout en France, par la mutation et les petits arrangements. Tout le monde couvre tout le monde. Surtout pas de vague. Surtout se taire ou se barrer. Un véritable scandale public.

L’auteur ne nous épargnera aucun détail scabreux dans cette affaire précise et se débat avec l’énergie révoltée du désespoir pour abattre toutes les barrières que l’Administration a su imposer jusque là et qui ont cloué le bec des rares parents qui avaient osé émettre l’hypothèse d’actes pédophiles. Un enseignant pédophile au casier vierge, si j’ose dire : vous n’y pensez pas !

Tout le monde se tait : les médecins, les psychologues, la police, l’académie, le ministère. Mais rien n’arrêtera Cendrey. Malgré les bourdes de la gendarmerie nationale, malgré la probable volonté de la justice régionale d’étouffer l’affaire, malgré le silence des autorités en général. Avec l’aide des victimes, l’appui de la presse, la justice va enfin se mettre en œuvre, le village en action.

Grâce à lui, qui va agir comme un catalysateur, ceux qui croyaient devoir se résigner à vie vont oser se dresser, s’organiser, lutter.

Le procès s’en suivra avec à la clé une lourde condamnation pénale.

La plume de Cendrey est féroce, parfois drôle, par dérision, sa volonté inébranlable. Il en sort un livre dur, crû, essentiel après lequel il est impossible de dire qu’on ne peut rien faire dans de telles situations. Un livre qui a le mérite d’exposer les droits et les devoirs de chacun et de nous mettre tous, en tant que citoyens, face à nos responsabilités.

Ne cherchez pas à le lire d’un trait. Il y a trop d’informations, trop d’horreur pour cela. Donnez-vous le temps d’accepter, d’écouter ou d’entendre selon vos capacités. Prenez et reposez, à votre rythme.

On pourrait lui reprocher certaines longueurs, certaines dérives incompréhensibles (la mort de « Sophie » par exemple) pour les non-initiés dont j’avoue faire partie.

Mais c’est aussi une catharsis pour Cendrey, un long atelier d’auto-écriture pour évacuer.

A prendre comme tel, avec ses qualités (sa documentation, sa profondeur, son sens de l’analyse) et ses défauts (la personnalisation permanente, le manque vraisemblable d’objectivité, de nombreuses longueurs). Pour comprendre et savoir. Pour voir ce qui nous est caché.

317 pages – publié par les Editions de l’Olivier

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