Publié en 1993 en Afrique du Sud, ce roman vient de faire
l’objet d’une traduction magistrale et d’une publication aux Editions Phébus
(2009). Karel Schoeman est un des plus grands écrivains vivants de son pays,
blanc et solidaire du combats des Noirs d’Afrique du Sud. Son roman le plus
connu est sans doute « La saison des adieux ».
Avec « Cette vie », c’est à la fois un roman
intimiste et un témoignage historique qui nous est livré. L’auteur se glisse
dans la peau d’une vieille femme, allongée sur son lit de mort. Dans les
derniers moments encore lucides de son agonie, elle passe en revue sa vie. Une
vie faite de solitude, de difficultés, de bouleversements et de conflits
familiaux. Une vie qui aura scandé la fin du XIXe siècle, connu le
développement rapide d’un pays essentiellement agricole, vu l’arrivée des mines
de diamant et la guerre des Boers.
Parce que cette femme, intelligente mais silencieuse, est
discrète au point d’en paraître invisible, toute sa vie elle aura assisté à des
scènes, à des discussions ou, le plus souvent entendu quelques morceaux de
phrases qui, peu à peu et enfin soudainement au moment de mourir, vont enfin
prendre tout leur sens et éclairé une succession d’évènements jusque là
demeurés incompréhensibles ou impossibles à accepter.
Isolée dans une ferme perdue dans le veld, dépendante d’une
famille pauvre et blanche, soumise à une mère avaricieuse et revêche qui impose
ses vues à un père silencieux, elle aura en charge très tôt l’éducation d’un
jeune enfant, fruit d’un mariage hasardeux entre l’un de ses frères colériques
et jaloux et une belle-sœur lumineuse et délurée. Parce que cette belle-sœur
fut aimée de son autre plus jeune frère, joyeux et beau danseur, sans doute
enlevée par ce dernier et que le mari disparut dans un accident tragique dont
la responsabilité pourrait bien incomber au cadet, elle se retrouva à élever un
enfant promis à hériter d’une ferme qui ne cesse de s’étendre.
Gagner de la terre se joue souvent à coups de fusil, en
spoliant les plus pauvres des blancs, en les chassant sans ménagement.
Accroître le bétail, repousser les limites du domaine reposent sur
l’exploitation de domestiques noirs ou blancs qui bien qu’affranchis, vivent
couchés sur le sol en terre battue au pied du lit des maîtres, ou au mieux dans
de vagues cahutes en proie au dur climat fait d’un été brûlant et d’un hiver où
il gèle à pierres fendre.
Nous allons suivre les transhumances hivernales en charriots
le long de cols vaguement sillonnés de chemins hasardeux et assister aux
mariages, aux décès, aux multiples misères qui ponctuent cette vie dure,
essentielle, sans joie et faite de labeur et de peines. Nous allons descendre
dans l’intimité d’une famille typique de ces paysans du veld, mangeant tout
juste à leur faim, reclus dans une religion protestante qui ne laisse aucune
place aux sentiments et pour lesquels la survie assurée à ceux dont ils
dépendent donne tous les droits ou presque.
Avec l’enrichissement progressif de la famille et du pays,
le pouvoir s’accroîtra et finira par bénéficier à cet enfant élevé par sa
tante. Il deviendra député, poussé par une femme ambitieuse, hautaine et qui
n’a aucun scrupule à exploiter cette vieille femme qui dépend d’elle.
Sans lyrisme mais grâce à une écriture limpide, essentielle,
juste, K. Schoeman nous prend aux tripes et nous fait découvrir la vie démente,
presque sauvage, de ces pionniers qui ont fondé le pays et dessiné les lignes
d’un pouvoir longtemps laissé aux mains des seuls blancs. Le roman est vibrant
mais glace d’effroi face aux épreuves endurées et à l’absence de toute lumière.
Seule la mort peut délivrer de cette vie là.
Publié aux Editions Phébus – 265 pages