« Plan de table » est un des livres à la fois les plus réjouissants et les plus subtils qu’il m’ait été donné de livre en cette année 2012. Réjouissant, car on y rit beaucoup des situations ubuesques ou gentiment ridicules dans lesquelles les personnages imaginées par cette jeune femme de vingt-cinq ans qui signe ici son premier roman de manière magistrale y sont drôles et décalées. Subtil, car Maggie Shipstead a su y rendre à merveille les us et coutumes, les archétypes de pensées et de comportements de ces familles WASP de la classe supérieure américaine de la côte Est.
Il faut dire que l’auteur a eu un matériau de premier choix. Provenant d’un milieu modeste, élevée en Californie, elle entre à Harvard, antre jalousement conservateur des traditions des grandes familles aisées de cette côte Est. Elle a eu tout le loisir d’y observer les codes en vigueur, depuis les tenues vestimentaires, jusqu’aux travers de langage et l’importance des clubs où l’on n’entre qu’après avoir été adoubé par ses pairs qui n’ont d’autres préoccupations que d’y rassembler les élites bien-pensantes capables, bientôt, de prendre le relais et de perpétuer des traditions ancestrales.
Et c’est bien tout cela que l’on retrouve dans son roman. Un roman où deux règles d’or, l’unité de temps et de lieu, forment le socle d’un récit rondement mené. Unité de temps car toute l’action est condensée sur deux jours ce qui laisse le temps d’analyser en profondeur les moindres pensées, les moindres changements d’humeur d’une galerie de personnages hauts en couleur. Unité de lieu, car tout se passe sur une île du Connecticut sur laquelle doit se dérouler le mariage d’une des filles de Winn, personnage central du livre.
Winn est l’archétype du WASP. Fils d’une famille aisée, il entra dans la même université que son père, fréquenta les mêmes clubs et, après avoir mené une vie de bâton de chaise pendant quelques années, se rangea en épousant une jeune femme de sa classe sociale rencontrée le jour de l’enterrement de son père. Winn est obnubilé par le prestige conféré par l’appartenance aux clubs et ne pense qu’à une chose : rejoindre le club de golf de l’île pour lequel il est en liste d’attente depuis trois ans. A part cela, il vit une vie coincée, contrôlant sans cesse ses sentiments et ses actes comme il cherche à contrôler sa famille.
Tout cela va exploser en vol pendant les deux jours précédant la cérémonie de mariage de sa fille. C’est une véritable conjuration du sort et des évènements qui semble s’être mise en place pour faire de ce mariage un cauchemar. La façon dont l’auteur introduit la cocasserie mêlée à la turpitude, la sottise, la quête sexuelle latente ou carrément explicite est absolument remarquable et crée une tension dramatique que l’humour permet de rendre totalement supportable.
Une fois entré dans le livre, on ne peut plus en sortir. C’est un microcosme qui révèle sa perversité, ses faux-semblants, son hypocrisie, bref ce qui fait l’essence du penser bien, du politiquement correct américain. On y rit beaucoup et ne s’y ennuie pas une seconde. Bref, les caractéristiques d’un très bon livre.
Publié aux Editions Belfond – 2012 – 417 pages