Publié en 1987 au Japon, traduit et édité en 2007 chez
Belfond, « La ballade de l’impossible » est une œuvre majeure de
Murakami. Rappelons que Murakami est l’un des auteurs majeurs contemporains
japonais dont le titre le plus connu est certainement « Après le
tremblement de terre ». Vous trouverez sur Cetalir un post sur « Le
passage de la nuit », livre étrange et fascinant, parfaitement révélateur
du style de l’auteur.
« La ballade de l’impossible » se caractérise par
sa lenteur et la condensation du temps. Ramassé sur une période de quelques
mois (un peu plus qu’une année), il donne l’occasion à l’auteur d’analyser en
profondeur l’âme d’un jeune homme, étudiant en lettres classiques européennes,
Watanabe, qui va se délivrer d’une période douloureuse de sa vie en se narrant
à la première personne.
C’est sur cette courte période que Watanabe va se construire
en tant qu’adulte et appréhender les multiples façons dont les rapports entre
un homme et une femme peuvent être régis. Watanabe fut marqué par le suicide
inattendu de son ami Kizuki lorsqu’il avait dix-sept ans. Avec Naoko, la
fiancée de Kizuki, il formait un étrange trio dont il constituait le ciment
silencieux.
Trois ans plus tard, et c’est ainsi que commence le roman,
Watanabe tombe sur Naoko dans un train et celle-ci l’entraîne dans une ballade,
bientôt suivie d’autres, dans les rues de Tokyo. Peu à peu, Watanabe va tomber
amoureux de Naoko dont il va découvrir la terrible fragilité et les secrets.
C’est une jeune femme profondément déséquilibrée, marquée par le double suicide
de Kizuki et de sa propre sœur qu’elle a toujours caché.
Tourmenté par ses désirs, Watanabe se laisse entrainer par
un entreprenant camarade d’université qui brûle ses nuits tokyoïtes en
consommant les jeunes filles faciles, par jeu, par dérision et en offrant
régulièrement à Watanabe une victime consentante pour des séances de baise sans
amour.
Mais Watanabe fera la rencontre de Minori, une étudiante qui
comme lui suit les cours de théâtre grec à l’université. Une jeune femme
attirante, sensuelle et provocante, fiancée à un jeune homme brutal et rustre
dont elle s’éloignera au fur et à mesure que son amour pour Watanabe grandit.
Pris entre ces diverses femmes, amoureux loyal d’une Naoko
impossible à atteindre car murée dans ses angoisses au point d’en être internée
loin de Tokyo, Watanabe va devoir trouver son chemin entre des amours
impossibles à concilier, entre des vies qui toutes, l’amènent sur des
trajectoires différentes et incompatibles.
La ballade de l’impossible, c’est celle qui oblige à choisir
une orientation à sa vie, tiraillé entre un amour idéal et les sollicitations
incessantes que la beauté ténébreuse et le langage poétique génèrent envers
Watanabe de la part des femmes qu’il rencontre. La ballade de l’impossible,
c’est celle de devoir choisir entre un amour rêvé mais qui plonge dans la
folie, et celui, plus fulgurant et passionné, qui peu à peu se construit en trouvant
l’étroit et improbable chemin qui ne blesse ni l’une ni l’autre.
Aucune des relations de couple mises en scène dans ce roman
n’est normale. Elles illustrent toute une impossibilité structurelle qui,
toujours, repose sur le fait que le désir ou l’attente de l’un est décalé par
rapport à celui de l’autre. D’où des situations terriblement douloureuses et
ce, d’autant qu’aucun des protagonistes ne semble capable de tirer des
conclusions constructives. D’où des situations tragiques qui s’enchaînent et qui
éliminent systématiquement les plus faibles psychologiquement parlant. C’est
l’impossible de vivre quand la douleur devient trop grande.
Il en résulte un roman fulgurant, poétique et sensuel, une
longue complainte nostalgique et tragique qui vous plonge rapidement dans une
ambiance lourde, un peu angoissante, à laquelle on fait face grâce au recours à
l’humour et à la dérision que manie l’auteur à la perfection. Un livre assez
magique et grandiose.
Publié aux Editions Belfond – 390 pages