26.8.15

La femme à venir – Christian Bobin


Dans un style poétique et chantant, fait de très courtes phrases aux résonnances parfois un brin baudelairiennes, faisant fi d’une narration traditionnelle pour faire voguer le lecteur de scénettes en scénettes, souvent espacées de nombreuses années, Christian Bobin pose une façon bien à lui de concevoir un récit romanesque.

De la vie de cette jeune fille, Albe, nous n’allons connaître que quelques moments cruciaux, ceux qui construiront sa personnalité, feront d’elle, vingt-sept ans plus tard, une femme enfin devenue adulte, cette « femme à venir ».

Tout commence avec la naissance d’Albe qui nous est dépeinte à petits traits destinés à rendre l’atmosphère partiellement sereine et un peu secrète de cette grande maisonnée dans laquelle le bébé dort. C’est par périphrases que l’on comprend car Bobin dédaigne nous donner à voir directement ce qui se passe. Il préfère de loin laisser le soin à ses lecteurs de puiser dans leur imaginaire pour décoder une prose souvent elliptique et très emprunte de poésie.

Albe est la fille d’un agent d’assurances peintre en secret et d’une femme fantasque dont la vie consiste, entre deux fugues sporadiques, à lire les manuscrits que des apprentis littérateurs envoient à la maison d’Edition pour laquelle elle travaille.

Quand viendra la reconnaissance, le père abandonnera le métier qu’il hait pour se consacrer entièrement à la peinture et devenir bientôt un peintre célèbre. Puis surviendra la mort brutale de la mère, conclusion inéluctable d’un couple qui ne s’aime plus, solution définitive au mal être qui oppresse Albe devenue grande.

Comme un tableau paternel qui se construit peu à peu, nous allons suivre à grands traits la vie d’Albe. Sa passion amoureuse à dix-sept ans pour un professeur de français hors norme, ancien séminariste et prêtre défroqué, ancien vagabond, éternel marginal qui ne se dérobe pas à une relation puissamment charnelle avec son élève d’autant qu’elle paraît encouragée par le père qui semble ainsi retrouver dans sa fille les traits de la mère qu’il a aimées.

Puis, lorsque la passion s’épuisera du fait d’un grave accident de santé de l’amant, Albe se réfugiera dans les études, le splendide isolement dans lequel s’enferme volontairement Albe, femme superbe et courtisée mis qui ne se livre pas, mythe inaccessible et incompréhensible. Car Albe est avant tout une solitaire, une fille qui vécut à côté d’un père mystérieux et inaccessible, coupée de toute relation extérieure.

Il faudra le hasard de nouvelles rencontres, le surgissement d’une amitié désintéressée puis d’une nouvelle passion aussitôt conclue par un nouvel abandon pour donner la clé, symbolique et physique, d’une existence de ce petit enfant qui fut « La femme à venir ».

Il faut accepter le parti-pris littéraire de Bobin et se laisser bercer par sa petite musique pour apprécier une sorte d’ovni littéraire.


Publié aux Editions Gallimard – 1990 – repris en Folio – 141 pages