Dans un style poétique et chantant, fait de très courtes
phrases aux résonnances parfois un brin baudelairiennes, faisant fi d’une
narration traditionnelle pour faire voguer le lecteur de scénettes en
scénettes, souvent espacées de nombreuses années, Christian Bobin pose une
façon bien à lui de concevoir un récit romanesque.
De la vie de cette jeune fille, Albe, nous n’allons
connaître que quelques moments cruciaux, ceux qui construiront sa personnalité,
feront d’elle, vingt-sept ans plus tard, une femme enfin devenue adulte, cette
« femme à venir ».
Tout commence avec la naissance d’Albe qui nous est dépeinte
à petits traits destinés à rendre l’atmosphère partiellement sereine et un peu
secrète de cette grande maisonnée dans laquelle le bébé dort. C’est par
périphrases que l’on comprend car Bobin dédaigne nous donner à voir directement
ce qui se passe. Il préfère de loin laisser le soin à ses lecteurs de puiser
dans leur imaginaire pour décoder une prose souvent elliptique et très emprunte
de poésie.
Albe est la fille d’un agent d’assurances peintre en secret
et d’une femme fantasque dont la vie consiste, entre deux fugues sporadiques, à
lire les manuscrits que des apprentis littérateurs envoient à la maison
d’Edition pour laquelle elle travaille.
Quand viendra la reconnaissance, le père abandonnera le
métier qu’il hait pour se consacrer entièrement à la peinture et devenir
bientôt un peintre célèbre. Puis surviendra la mort brutale de la mère,
conclusion inéluctable d’un couple qui ne s’aime plus, solution définitive au
mal être qui oppresse Albe devenue grande.
Comme un tableau paternel qui se construit peu à peu, nous
allons suivre à grands traits la vie d’Albe. Sa passion amoureuse à dix-sept
ans pour un professeur de français hors norme, ancien séminariste et prêtre
défroqué, ancien vagabond, éternel marginal qui ne se dérobe pas à une relation
puissamment charnelle avec son élève d’autant qu’elle paraît encouragée par le
père qui semble ainsi retrouver dans sa fille les traits de la mère qu’il a
aimées.
Puis, lorsque la passion s’épuisera du fait d’un grave
accident de santé de l’amant, Albe se réfugiera dans les études, le splendide
isolement dans lequel s’enferme volontairement Albe, femme superbe et courtisée
mis qui ne se livre pas, mythe inaccessible et incompréhensible. Car Albe est
avant tout une solitaire, une fille qui vécut à côté d’un père mystérieux et
inaccessible, coupée de toute relation extérieure.
Il faudra le hasard de nouvelles rencontres, le surgissement
d’une amitié désintéressée puis d’une nouvelle passion aussitôt conclue par un
nouvel abandon pour donner la clé, symbolique et physique, d’une existence de
ce petit enfant qui fut « La femme à venir ».
Il faut accepter le parti-pris littéraire de Bobin et se
laisser bercer par sa petite musique pour apprécier une sorte d’ovni
littéraire.
Publié aux Editions Gallimard – 1990 – repris en Folio – 141
pages