Avec son quatrième roman, David Vann délaisse un peu les
ambiances très noires dans des décors naturels et sauvages pour élaborer une
sorte de conte ou de parabole autour du thème du pardon.
Nous voici à Seattle, la ville de l’eau par excellence sur
la côte californienne. L’eau de la mer visible de partout. L’eau de la pluie et
de la neige qui tombent sans cesse d’un bout à l’autre de l’année. L’eau de son
aquarium géant, spectaculaire où se rend chaque fin d’après-midi après l’école
une jeune fille de douze ans, Caitlin, en attendant que sa mère,
manutentionnaire sur le port, vienne la récupérer.
Un aquarium où Caitlin rêve devant les poissons de toutes
les formes et de toutes les couleurs, lui apportant une vision du monde
totalement différente de celle de l’appartement maternel glacial et pauvre et
de son milieu urbain attristant, celui de la banlieue défavorisée.
Depuis quelques jours, Caitlin retrouve dans cet aquarium
féérique un vieil homme avec lequel elle s’est prise de sympathie et qui semble
la comprendre. Un homme dont nous apprendrons vite qu’il s’agit de son
grand-père. Pourquoi ignorait-elle alors l’existence de cet aïeul aimant ?
C’est à partir de cette question que David Vann construit son roman.
Un roman qui nous plonge au cœur de la folie, celle d’une
mère qui a toujours vécu seule, n’a jamais voulu rien dire sur le père de son
enfant. Une mère qui a coupé tous les ponts avec un père qui l’a abandonnée à
un moment critique de sa vie adolescente, brisant tout espoir, annihilant les
possibilités d’un futur épanouissant. Une folie latente et violente qui va
devenir explosive, destructrice et manipulatrice lorsque la mère décidera d’en
user envers sa fille pour la couper à tout jamais de son grand-père.
Mais les choses ne se passent jamais vraiment comme prévu
dans la vie car, face aux forces du Mal, les forces de l’Amour (sur lesquelles
se fondent toutes les religions) sortent souvent vainqueurs au terme de longs
combats. Autre leçon implicite de ce roman…
Ce combat, c’est celui du basculement de l’enfance encore
innocente de Caitlin vers l’adolescence et la découverte des drôles de règles
du jeu qui régissent le monde des adultes. Un basculement où la jeune fille
découvre le plaisir et le désir avec une camarade de classe indienne de caste
élevée dont l’environnement social semble aux antipodes du sien. Un basculement
où le regard de Caitlin sur sa mère, jusqu’ici déesse absolue de sa vie, change
à jamais. Un basculement où la question du pardon, celui de la mère vers son
propre père, de Caitlin envers sa mère, de l’amant de la mère envers cette
dernière, des adultes envers l’homosexualité assumée des deux jeunes filles
forme la trame d’un roman à la fois dur et tendre, comportant des ruptures narratives
inattendues comme la vie sait en réserver.
David Vann confirme, une fois encore, qu’il est un grand
auteur américain avec lequel il faut compter.
Publié aux Editions Gallmeister – 2016 – 278 pages