Avec son troisième roman, celui que l’on nomme le Zola
indien tant ses deux précédents ouvrages ont marqué les esprits par leur
souffle et la puissance de leurs images traduisant les infinies contradictions
de la société indienne, Tarun Tejpal pose avec violence et originalité de
multiples questions. Il ne faut pas lire
beaucoup entre les lignes pour voir ici la dénonciation d’une société basée sur
les castes posant un système de supériorité prétendument inné, donnant
quasiment tous les droits à ceux qui se situent tout en haut y compris celui de
traiter les castes inférieures comme données négligeables.
Tejpal avoue avoir beaucoup lu le Mahabharata, cette sorte
de bible qui pose les fondements de l’histoire et de la culture indienne où une
fratrie de cinq est l’élue des Dieux sans cesser de faire ou de se faire la
guerre pour poursuivre des intérêts personnels ou amoureux. Et c’est à une
sorte de réécriture moderne et
simplifiée de cette saga aussi fleurie qu’indigeste pour un cerveau occidental
qu’il s’attelle ici.
Tout commence alors qu’un homme attend calmement la mort. Il
sait que ceux qui sont à sa poursuite sont là, dehors, prêts à lui tomber
dessus pour l’assassiner atrocement, dans la souffrance afin de lui faire payer
sa trahison.
Il vient d’un monde supérieur, de cette vallée des masques
où seuls subsistent les plus forts, les élus d’une secte toute dévouée à son
gourou mort depuis longtemps, Aoum, ce qui signifie « le souffle ».
Un monde où l’enlèvement des enfants à leur famille est de plein droit. Un
monde fait d’une sélection sans pitié où les plus faibles sont éliminés sans la
moindre hésitation. Un monde où le pouvoir ultime est partagé entre les deux
castes les plus élevées. Celle des guides, gardiens de la parole et de la
doctrine originale, superviseurs d’un système fait pour les servir. Et puis,
celle des guerriers, sorte de super-héros à la sauce indienne, capables de se
déplacer dans les airs, de combattre n’importe quelle armée à l’aide d’une
ceinture en peau de chèvre dans laquelle est fichées neuf pointes acérées, de
taille différente, pensées pour infliger des blessures raffinées induisant une
mort longue et pénible comme foudroyante selon le cas. Les garants de
l’autonomie et de la puissance de la secte.
Un monde où l’individu ne compte pas. Un monde où l’on porte
à vie un masque cachant son visage à jamais histoire de mieux marquer
l’appartenance au groupe et la suprématie du groupe sur l’individualité. Un
monde où les plaisirs sont réglementés, celui des femmes étant réservé aux
meilleurs d’entre eux. Un monde sans musique, sans joie tout entier tourné vers
la méditation ou l’action visant à déstabiliser la société.
Mais voilà que depuis qu’il s’en est enfui, grâce à un
égoutier prêt à faire la révolution, il a découvert la mystérieuse machine
capable d’écouter de la musique comme d’en enregistrer. Avant de mourir, il a
décidé d’y compter son existence et d’en livrer les terribles secrets,
réalisant l’utopie d’un monde malsain et fourbe.
Tejpal use d’une langue puissante dans laquelle la violence
inhérente à la société indienne trouve un moyen d’expression aussi sublime
qu’unique. Voici un livre qui a vraiment quelque chose à nous dire sous la
forme d’une fable moderne terrifiante mais très proche du monde qu’elle décrit.
Toutes les contradictions d’une société unique sur terre. Allez juste une fois
en Inde et vous comprendrez….
Publié aux Editions Albin Michel – 2012 – 454 pages