10.12.16

La fabrique des pervers – Sophie Chauveau


Il aura fallu le hasard pour que Sophie Chauveau ose réaliser et publier son dernier livre. En effet, après la parution de son roman « Noces de charbon », une lectrice la contacte et lui propose de se rencontrer. Quelque chose dans le courrier reçu interpelle l’auteur qui, du coup, accepte la proposition. Très vite, les deux femmes vont comprendre qu’elles sont en fait cousines et que toutes deux ont vécu un même traumatisme, inavoué, refoulé au plus profond d’elles-mêmes : l’inceste.

Rassemblant leur courage et leurs informations, elles vont mener une sorte de gigantesque enquête familiale sur cinq générations pour arriver à un constat accablant : leur famille est une véritable fabrique de pervers.

Depuis l’acte fondateur du patriarche qui sut tirer parti de la guerre de 1870 et du siège de Paris pour faire fortune et établir ce qui allait devenir l’épicerie de luxe de la Madeleine, les hommes usent et abusent de tous les droits sur les femmes et les enfants de la tribu familiale. Aucun interdit, les épouses des frères s’échangeant comme autant de maîtresses, les adultes se promenant nus pendant les deux ou trois mois de congés d’été que la haute bourgeoisie s’accorde. Mais, surtout, les hommes ont tout pouvoir sur les enfants, garçons ou filles, pratiquant toute sorte de pénétration et allant, sans doute, jusqu’à engrosser leur propre descendance. Tout cela avec la complicité des femmes et des mères soucieuses avant tout de protéger leur statut social et les apparences. Car, tant que cela ne sort pas de la famille, quel est le problème ?

Le problème, on le sait désormais, c’est le traumatisme irréparable éprouvé par un enfant qui n’a d’autre choix que de subir l’autorité parentale comme celle des adultes référents. Ce qu’on leur impose n’est pas agréable, souvent physiquement douloureux osent-ils se dire, sans comprendre. Mais,  personne ne faisant de remarque, tout ceci ne peut être au fond que normal.

Alors, avec courage, Sophie Chauveau devenue largement adulte, épouse et mère ose enfin raconter, révélant de façon pudique mais révoltée le scandale familial. Elle s’y interroge aussi sur la façon dont l’Etat a protégé – et continue de le faire dans une certaine mesure en imposant des délais de forclusion et des limites d’âge pour porter plainte – les adultes pervers et pédophiles vis-à-vis d’enfants démunis. Elle rappelle qu’il faut de longues années, parfois des décennies, pour oser enfin agir, une fois admis qu’enfant, on n’était pas coupable, que l’on n’aimait pas cela contrairement aux affirmations éhontées des amuseurs.

Certes, le livre de Sophie Couteau est un peu trop long mais il faut du temps et des pages pour crier sa souffrance et l’expulser de soi en espérant enfin être libérée.


Publié aux Editions Gallimard – 2016 – 275 pages