Il aura fallu le hasard pour que Sophie Chauveau ose
réaliser et publier son dernier livre. En effet, après la parution de son roman
« Noces de charbon », une lectrice la contacte et lui propose de se
rencontrer. Quelque chose dans le courrier reçu interpelle l’auteur qui, du
coup, accepte la proposition. Très vite, les deux femmes vont comprendre
qu’elles sont en fait cousines et que toutes deux ont vécu un même traumatisme,
inavoué, refoulé au plus profond d’elles-mêmes : l’inceste.
Rassemblant leur courage et leurs informations, elles vont
mener une sorte de gigantesque enquête familiale sur cinq générations pour
arriver à un constat accablant : leur famille est une véritable fabrique
de pervers.
Depuis l’acte fondateur du patriarche qui sut tirer parti de
la guerre de 1870 et du siège de Paris pour faire fortune et établir ce qui
allait devenir l’épicerie de luxe de la Madeleine, les hommes usent et abusent
de tous les droits sur les femmes et les enfants de la tribu familiale. Aucun
interdit, les épouses des frères s’échangeant comme autant de maîtresses, les
adultes se promenant nus pendant les deux ou trois mois de congés d’été que la
haute bourgeoisie s’accorde. Mais, surtout, les hommes ont tout pouvoir sur les
enfants, garçons ou filles, pratiquant toute sorte de pénétration et allant,
sans doute, jusqu’à engrosser leur propre descendance. Tout cela avec la
complicité des femmes et des mères soucieuses avant tout de protéger leur
statut social et les apparences. Car, tant que cela ne sort pas de la famille,
quel est le problème ?
Le problème, on le sait désormais, c’est le traumatisme
irréparable éprouvé par un enfant qui n’a d’autre choix que de subir l’autorité
parentale comme celle des adultes référents. Ce qu’on leur impose n’est pas
agréable, souvent physiquement douloureux osent-ils se dire, sans comprendre.
Mais, personne ne faisant de remarque,
tout ceci ne peut être au fond que normal.
Alors, avec courage, Sophie Chauveau devenue largement
adulte, épouse et mère ose enfin raconter, révélant de façon pudique mais
révoltée le scandale familial. Elle s’y interroge aussi sur la façon dont
l’Etat a protégé – et continue de le faire dans une certaine mesure en imposant
des délais de forclusion et des limites d’âge pour porter plainte – les adultes
pervers et pédophiles vis-à-vis d’enfants démunis. Elle rappelle qu’il faut de
longues années, parfois des décennies, pour oser enfin agir, une fois admis
qu’enfant, on n’était pas coupable, que l’on n’aimait pas cela contrairement
aux affirmations éhontées des amuseurs.
Certes, le livre de Sophie Couteau est un peu trop long mais
il faut du temps et des pages pour crier sa souffrance et l’expulser de soi en
espérant enfin être libérée.
Publié aux Editions Gallimard – 2016 – 275 pages