Entrer dans un nouveau
livre d’Antoine Volodine, c’est accepter par avance de rendre les armes. Car le
parti-pris affiché, assumé et revendiqué de l’auteur et de certains de ses
pairs avec lesquels il a annoncé depuis longtemps avoir l’intention de créer un
« projet post-exotique en quarante-neuf volumes », est bien de
casser les codes du roman qu’il soit classique, contemporain ou toute autre
chose.
Ici, pour reprendre le
vocabulaire « post-exotique » de la bande à Volodine, il s’agit de
réaliser une « entrevoûte », c’est-à-dire une série de textes
organisés par paires autour d’un axe central portant le tout. Un terme emprunté
au vocabulaire de la maçonnerie.
Comment, dès lors, passer
de l’intention à la pratique ? En concoctant un texte des plus étranges,
souvent fascinant au demeurant. Un texte où une femme relate sous les questions
et les interruptions brutales d’un enquêteur policier dont nous ne savons rien
ses aventures pour le moins extraordinaires.
Membre d’une troupe de
théâtre itinérante dans un pays qui ressemble fort à une URSS post-soviétique
frappée d’un chaos absolu, elle fut avec ses compères prise en otage par une
troupe de brigands, une de ces bandes armées sans foi ni loi qui écument le
pays et sèment la mort, le pillage et la désolation. Après que la
quasi-totalité de sa troupe ait été exécutée, la voici devenue l’esclave
sexuelle d’un des chefs de la bande dont elle rejoint les rangs malgré elle.
Elle ne devra sa survie qu’à des formules obscures, des rites chamaniques
appris par cœur dès sa plus jeune enfance de la bouche de sa grand-mère et de
sa mère. Des formules qui hantent le récit de bout en bout et occupent même à
elles seules un bon tiers du livre en sa partie centrale comme la voûte précisément
où vient s’adosser le reste d’un récit inquiétant.
Car derrière ces
questions qui fusent se pose la question de savoir qui est coupable. Cette
survivante d’une troupe sans histoire, ces peuplades qui résistent mal aux
pressions guerrières, cet interrogateur ambassadeur anonyme d’un pouvoir dont
nous ne savons rien ? Seule règne in fine l’inquiétude, celle de vivre
dans un monde obscur et en proie à l’obscurantisme, un monde dont on ne peut
fuir que par des stratégies magiques. C’est bien cela que semble vouloir nous
dire Volodine qui, une fois encore, se réinvente dans ce nouvel opus
dérangeant.
Publié aux Editions du
Seuil – 2019 – 300 pages