Pas facile pour la petite
Jane Chisolm de trouver sa place. Née, après deux autres enfants morts jeunes,
d’un père fermier alcoolique et d’une mère dépressive, incapable de manifester
la moindre tendresse et qui n’a jamais désiré cette enfant conçue sans son
consentement, Jane est en outre affublée d’une malformation aussi invisible
qu’handicapante. Toute sa vie, cette petite fille qu’on ne sait pas opérer en
ce début de vingtième siècle, devra vivre avec des couches, redoutant en permanence
l’accident. Jamais non plus elle ne pourra être véritablement une femme,
incapable d’accueillir en elle un homme et encore moins d’enfanter.
Confiée aux soins de sa
sœur aînée Grace, une jeune fille aussi effrontée que délurée, prête à tout
pour s’enfuir au plus vite du domicile familial à l’air irrespirable, Jane fait
l’objet d’une surveillance aussi attentive que bienveillante du médecin local
qui a aidé à sa mise au monde. Sous le regard vigilant de cet homme bon malgré
certains travers et sous celui d’un père qui admire la force tranquille de sa
fille sans être véritablement capable d’exprimer ses émotions, elle grandit peu
à peu, manifestant une vive intelligence et une capacité à apprendre très
rapidement par la simple observation.
Quand viendra le temps de
l’adolescence et des premiers émois, il lui faudra comprendre et admettre que
vivre une vie normale avec un être aimé est un projet irréaliste dans une
société où se marier signifie enfanter vite et bien. Car, à travers la vie de Jane, c’est aussi
celle de la société américaine rurale que nous donne à voir Brad Watson. Une
vie faite de labeur permanent, une vie rude où mourir dans les champs d’un
accident fatal est monnaie courante. Une existence qui sera bientôt menacée par
la Grande Dépression qui frappe les Etats-Unis et ruine de nombreux fermiers et
exploitants, les laissant sans rien, sans avenir ni moyens. Une vie où la
science et la médecine progressent encore lentement, incapables de changer
l’existence de celles et ceux qui, comme Jane, sont frappés d’une infirmité qui
les marginaliseront à jamais.
Malgré cela, par sa force
de caractère ainsi que par la bonté et la générosité inattendues des rares
hommes qui auront compté pour elle, Miss Jane saura trouver sa place et assumer
une vie digne et pleine dans une société qui voyait pourtant les femmes
célibataires d’un œil peu favorable.
Avec ce deuxième roman
qu’il mit seize ans à écrire, Brad Watson signe un ouvrage qui s’inscrit dans
la droite ligne des récits de Faulkner ou de Steinbeck.
Publié aux Editions
Grasset – 2018 – 375 pages