Au départ, Léonora Miano voulait écrire une histoire
d’amour. Une histoire qui marche entre une femme intelligente et un homme beau,
bien dans sa tête, réalisant ses projets, faisant ce qu’il indique qu’il va
réaliser. Et puis, très vite, prise par la passion qu’elle dit éprouver pour
l’étude des nouveaux nationalismes qui traversent certains pans de notre
société occidentale, le livre prit un tournant à la fois politique, futuriste
et épistémologique.
Nous voici transportés dans une Afrique du futur, quelque
part au milieu du siècle prochain. Une Afrique qui est enfin sortie de sa
situation à la traîne du monde. Une Afrique qui s’est débarrassée
définitivement du colonialisme et qui est en passe, à force de guerres contre
l’Occident puis contre elle-même, de réussir une unification massive. La
majeure partie du continent est désormais placée sous une autorité commune
contrôlée par une série d’instances, une sécurité politique et militaire de fer
et un chef d’état qui dispose d’une autorité légitime et de pouvoirs
importants. Un homme beau, intelligent, intègre, qui s’est retrouvé la place
qu’il occupe sans l’avoir vraiment voulu, choisi pour sa vaillance et sa
capacité à communiquer avec les esprits. Un homme vivant séparé de son épouse.
Un homme qui s’échappe régulièrement de son palais pour observer le peuple sans
être détectable, se forger sa propre opinion sur les tendances et les
impressions éprouvées par celles et ceux qu’il gouverne. C’est lors de ces
sorties qu’il va repérer une superbe femme à la peau cuivrée et qu’il pense
avoir détecté en elle la compagne dont il a toujours rêvé.
Bientôt cette femme éprouvera le même amour et tous deux
formeront un couple ne se cachant pas. La seule difficulté, de taille, est que
la femme semble militer pour les « Sinistrés », un sujet qu’elle
enseigne à l’université. Sont nommées ainsi les populations blanches restées
sur le territoire de l’union africaine après les conflits. Des groupes qui sont
restés ancrés dans les croyances du passé, tout juste tolérés mais dont
certains, au plus haut niveau de l’Etat, voudraient se débarrasser de manière
violente. Autour de ce thème se cristallise une histoire en forme de thriller
mêlant lutte pour le pouvoir, définition d’un nouveau monde aux règles claires,
intégration des minorités, manipulations et contre-manipulations, convocations
et usages de pouvoirs occultes et surnaturels.
Si l’histoire est aussi habile qu’originale, restent deux
obstacles potentiels à surmonter. Celui d’une langue foisonnante mêlant sans
cesse des mots issus de diverses langues africaines dont un lexique est donné
en annexe ; celui, encore et surtout, d’un récit très – trop – long au
point de provoquer des décrochements fréquents d’attention. Si on admire le
travail de conception, on reste déçu par la réalisation qui ne nous aura à
aucun moment enthousiasmé.
Publié aux Editions Grasset – 2019 – 606 pages