19.3.20

Le rêve du village des Ding – Yan Liankee


La littérature chinoise contemporaine reste encore confinée à la curiosité de quelques connaisseurs occidentaux ou aux lecteurs, non sinophones, ayant un intérêt pour cet immense pays en passe de devenir la future puissance dominante mondiale.

« Le rêve du village des Ding » constitue de facto une excellente opportunité pour se plonger dans ce que la littérature contemporaine chinoise offre de meilleur. Rappelons que Yan Liankee, censuré dans son pays, est l’un des plus grands auteurs chinois actuels, récompensé par de nombreux prix internationaux. Très engagé pour la reconnaissance des droits de l’homme, il fait également de ses œuvres littéraires autant d’instruments pour dénoncer la folie maoïste et les multiples dérives de son pays en proie à de terribles tensions.

Avec « Le rêve du village des Ding », c’est au fin fond de la Chine rurale actuelle que nous nous transportons. Une Chine laissée sur le côté de la modernisation galopante et d’un « communo-capitalisme » qui fait des ravages dans les grandes villes. On y survit en cultivant les champs et élevant poules et cochons sous la férule d’un chef de village et le regard constant de toute une hiérarchie à la solde du Parti Communiste. Enfin, ce fut comme cela jusqu’au jour où le Parti décida de faire de la collecte du sang une grande cause nationale. Ne disposant pas des moyens pour organiser de manière structurée et contrôlée les choses, Yan Liankee imagine laisser aux soins d’entrepreneurs individuels la collecte du sang des villageois.

Le manque d’hygiène combiné à un appât du gain rapide cause alors la propagation foudroyante de ce que l’on appelle la fièvre. Dans les villages, hommes et femmes tombent comme des mouches. Bientôt un nom sera mis sur cette maladie mortelle que personne ne sait soigner, celui du sida.

Sur cette trame, Yan Liankee élabore un long conte oriental dénonçant la cupidité humaine, les jalousies, les luttes de pouvoir qui continuent d’agiter un microcosme humain mourant, préoccupé jusqu’à l’extrême limite par le prestige et l’enrichissement avant tout. À l’exception de l’ancien instituteur et chef de village dont la probité lui valut d’être rapidement écarté et ostracisé, le comportement des villageois et des autorités que décrit l’auteur souligne avant tout les travers actuels de la société chinoise : soif de pouvoir, manipulations en tous genres pour arriver à ses fins, corruption à tous les niveaux, volonté de s’enrichir au plus vite en dépit des conséquences humanitaires, sociales, écologiques. Ce qui fait la force de cette dénonciation est le ton sur lequel elle est prononcée : calme, presque tranquille comme s’il s’agissait de décrire les pires horreurs comme allant de soi, comme une norme dont personne ne s’inquiète plus. Le résultat est glaçant…

Publié aux Éditions Philippe Picquier – 2007 – 329 pages