La littérature chinoise contemporaine reste encore confinée
à la curiosité de quelques connaisseurs occidentaux ou aux lecteurs, non
sinophones, ayant un intérêt pour cet immense pays en passe de devenir la
future puissance dominante mondiale.
« Le rêve du village des Ding » constitue de facto
une excellente opportunité pour se plonger dans ce que la littérature
contemporaine chinoise offre de meilleur. Rappelons que Yan Liankee, censuré
dans son pays, est l’un des plus grands auteurs chinois actuels, récompensé par
de nombreux prix internationaux. Très engagé pour la reconnaissance des droits
de l’homme, il fait également de ses œuvres littéraires autant d’instruments
pour dénoncer la folie maoïste et les multiples dérives de son pays en proie à
de terribles tensions.
Avec « Le rêve du village des Ding », c’est au fin
fond de la Chine rurale actuelle que nous nous transportons. Une Chine laissée
sur le côté de la modernisation galopante et d’un
« communo-capitalisme » qui fait des ravages dans les grandes villes.
On y survit en cultivant les champs et élevant poules et cochons sous la férule
d’un chef de village et le regard constant de toute une hiérarchie à la solde
du Parti Communiste. Enfin, ce fut comme cela jusqu’au jour où le Parti décida
de faire de la collecte du sang une grande cause nationale. Ne disposant pas
des moyens pour organiser de manière structurée et contrôlée les choses, Yan
Liankee imagine laisser aux soins d’entrepreneurs individuels la collecte du
sang des villageois.
Le manque d’hygiène combiné à un appât du gain rapide cause
alors la propagation foudroyante de ce que l’on appelle la fièvre. Dans les
villages, hommes et femmes tombent comme des mouches. Bientôt un nom sera mis
sur cette maladie mortelle que personne ne sait soigner, celui du sida.
Sur cette trame, Yan Liankee élabore un long conte oriental
dénonçant la cupidité humaine, les jalousies, les luttes de pouvoir qui
continuent d’agiter un microcosme humain mourant, préoccupé jusqu’à l’extrême
limite par le prestige et l’enrichissement avant tout. À l’exception de
l’ancien instituteur et chef de village dont la probité lui valut d’être
rapidement écarté et ostracisé, le comportement des villageois et des autorités
que décrit l’auteur souligne avant tout les travers actuels de la société
chinoise : soif de pouvoir, manipulations en tous genres pour arriver à
ses fins, corruption à tous les niveaux, volonté de s’enrichir au plus vite en
dépit des conséquences humanitaires, sociales, écologiques. Ce qui fait la
force de cette dénonciation est le ton sur lequel elle est prononcée :
calme, presque tranquille comme s’il s’agissait de décrire les pires horreurs
comme allant de soi, comme une norme dont personne ne s’inquiète plus. Le
résultat est glaçant…
Publié aux Éditions Philippe Picquier – 2007 – 329 pages