Poussés par la famine, les exactions, les violences en tous
genres, les départs massifs des voisins et de la famille, celles et ceux qui
ont encore un nom, une vie, une âme et de l’espoir décideront bientôt d’entreprendre
à leur tour ce voyage par-delà la frontière. Pour fuir ce Mexique violent,
honni par dépit, ils doivent s’en remettre à des bandes organisées qui ont fait
du trafic d’êtres humains un business aussi lucratif que terrifiant.
Car ces migrants ignorent que, très bientôt, dès qu’ils
auront confié leur sort à ces mains inconnues, ils quitteront l’univers de ceux
qui ont encore un nom pour rejoindre une armée des ombres. A peine sortis d’une
jungle qu’il leur aura fallu traverser en dépit de mille dangers, les voici
entassés dans des camions, enfermés et ligotés. Commencent alors l’enfer, la
barbarie, tout ce que l’homme est capable de produire de pire envers d’autres
humains.
A la façon d’une tragédie grecque, Emiliano Monge convoque à
la fois des extraits de l’Enfer de Dante ou des textes tirés de témoignages
réels. Ils forment de petits incipit glissés au milieu de chapitres courts et
poignants comme des exclamations, des cris pour dire l’horreur devenue
universelle et quotidienne. Les femmes y sont violées en bandes souvent jusqu’à
ce que mort s’en suive, les hommes frappés afin de briser net toute velléité de
résistance. Ballotés sur les routes les plus dangereuses, les survivants sont
vendus à des acheteurs sans scrupules décidés à faire de ces miséreux leurs
esclaves.
Pendant que les deux convois qui se sont formés suite à la
dernière livraison de chair suivent chacun leur route, une terrible
machination, ourdie par des compagnons censés être de confiance, se met en
place pour mettre à bas le couple méphitique qui contrôle ce lucratif business
et s’accaparer pouvoir et fortune. C’est un voyage vers l’enfer parallèle qui
s’embraye et conduira les acteurs, trafiquants et victimes, vers des sommets
d’horreur.
Toute la force de ce récit éprouvant est d’user d’un style
quasi hallucinatoire. Les êtres y sont souvent désignés non par leurs noms mais
par des formules qui évoluent au gré de leur propre descente vers l’enfer.
Quand un climax de violence approche (et ils sont aussi nombreux que les nids de
poule des routes défoncées), l’auteur use de subtils détours avant de nous
asséner un coup et de nous laisser pantelants face à un récit qui semble ne
jamais s’arrêter. Cœurs et âmes sensibles s’abstenir ! Voici un témoignage
impactant sur ces voyages vers l’enfer que subissent des hordes entières de
population à la dérive.
Publié aux Éditions Philippe Rey – 2017 – 346 pages