Le plus difficile dans ce roman, est de franchir la première centaine de pages. Les questions vous assaillent sans cesse. Qu’ont donc à voir ces multiples personnages qui semblent désarticulés, éparpillés entre un Berlin réunifié, un Londres glauque, un New-York hébété par l’effondrement des tours jumelles du World Trade Center ?
K. Hacker nous ballade au gré de chapitres courts écrits avec une férocité contre la vie sans concession, dressant peu à peu un univers sombre, démuni de tout espoir, psychologiquement et physiquement violent. Il y a un trouble permanent dans ces pages denses qui incite le lecteur à poursuivre la recherche d’un sens jusque là énigmatique. Les près de deux cent soixante dix pages qui vont suivre vont peu à peu créer un fil d’Ariane entre ces personnages ballotés par la vie. Des démunis car vivant dans la misère crasse, l’angoisse d’une vie sans espoir ou parce qu’ils sont simplement incapables d’avoir prise sur les évènements et le monde en crise qui ouvre le nouveau siècle.
Le roman tourne autour de deux trentenaires allemands, Jakob et Isabelle. Jakob, l’avocat d’affaires berlinois spécialisé dans les questions de restitutions aux Juifs de biens immobiliers confisqués sous le régime nazi. Isabelle, la belle et énigmatique dessinatrice, troublante par une sexualité que l’on devine ambivalente et dont Jakob tomba follement amoureux, en vain.
Par hasard, ils retombent l’un sur l’autre et c’est le coup de foudre. Très vite, ils décident de se marier et Isabelle suit Jakob à Londres où son mari est nommé pour prendre la place d’un associé d’un grand cabinet d’avocats d’affaires disparu dans l’attentat du 11 Septembre. Mariés très vite, trop vite, Jakob et Isabelle restent un mystère l’un pour l’autre. Plus Jakob est accaparé par son travail, plus Isabelle s’éloigne jusqu’à devenir des presque inconnus l’un pour l’autre.
Nous découvrons alors qu’une partie des personnages disséminés dans les chapitres initiaux habitent la même rue londonienne que le couple. Que se passe-t-il dans l’appartement voisin d’Isabelle qui résonne de coups, de hurlements et dont les murs semblent recéler une violence inouïe ? Qui est cette étrange petite fille bossue et laide qui torture son chat ? Pourquoi le junky qui habite la maison d’en face est-il fasciné par Isabelle et comment va-t-il peu à peu l’encercler, la faire tomber dans les rets interlopes au fur et à mesure qu’elle s’éloigne affectivement de son mari ? Quel est le secret du patron de Jakob ? Avec une habileté redoutable, K. Hacker noue des liens entre ses personnages qui se mettent en route vers une fin qu’on devine nécessairement tragique.
L’alternance de moments apparemment paisibles, où l’amour se construit, avec des scènes de plus en plus nombreuses d’une grande violence plonge le lecteur dans un malaise grandissant, proche de l’angoisse. Une plongée vers l’abîme est certaine et c’est cette descente dans l’inconnu qui fascine.
Nous découvrons alors le Londres violent, celui des meurtres et des disparitions, de la prostitution et de la drogue, de la terreur par la violence. Par bien des côtés, le roman rappelle la montée continue vers le drame violent qu’un McEwan mettait en scène dans « Samedi ».
Ce livre est un coup de poing dans la figure. On en sort ébranlé et mal à l’aise autant qu’époustouflé par la maîtrise littéraire. Il fut couronné du « Deutscher Buchpreis » en 2006.
Publié aux Editions Christian Bourgeois – 370 pages
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