« syngué sabour (du perse syngue « pierre », et sabour « patience »). Pierre de patience. Dans la mythologie perse, il s’agit d’une pierre magique que l’on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses douleurs, ses misères… On lui confie tout ce que l’on n’ose pas révéler aux autres… Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu’à ce qu’un beau jour elle éclate… Ce jour là on est délivré. (quatrième de couverture).
Syngué sabour fut couronné du Prix Goncourt 2008. C’est indéniablement un beau roman qui marie avec finesse et intelligence d’une part le côté magique et chamoisé de l’Orient, la frontière perméable qu’il contient en soi entre le monde réel et celui des contes, d’autre part l’aspect moderne et typiquement occidental du devoir de psychanalyse. C’est ce qui en fait l’intérêt assurément.
Fallait-il pour autant lui décerner la plus haute distinction littéraire nationale ? On peut raisonnablement se poser la question même si, une fois encore, ce livre est un bon et beau roman mais, vous l’aurez compris, pas un roman extarordinaire. Si le livre par son récit, par sa dualité culturelle qu’il comporte est indéniablement particulier et remarquable, il ne constitue pas pour autant une authentique révolution littéraire, une novation majeure. Il est agréable à lire, interpelle en mêlant la poésie orientale à l’horreur que porte en soi tout conflit moderne avec sa cohorte de meurtres, de trahisons, de viols et de destructions.
La confession de cette femme, abandonnée à elle-même, à son époux plongé dans un coma profond après avoir reçu une balle en pleine nuque est touchante par sa sincérité, par la vague de folie qu’elle provoque, par la perte de tous repères, une confession donnée à un homme qui n’entend, ne voit, ni ne réagit étant a priori sans risque. Une confession en entraine une autre et fait descendre cette femme au plus profond de ses refoulements, de ses angoisses, la pousse à avouer à cet époux violent, hautain, égoïste et machiste, peu soucieux de sa femme qu’il a épousée à distance pour cause de conflit guerrier, ce qu’elle a toujours caché à tous. Elle la pousse à se délester, à quitter une posture à titre définitif.
Le poids des conventions, de la tradition musulmane a créé une chape de plomb qui va se fendiller puis exploser, au fur et à mesure que le temps passe et que la guerre apporte son lot de surprises. C’est cette progression des mots, cette descente dans l’inconscient, cette nécessité de cracher l’indicible devenu trop lourd à porter qui est passionnante dans ce récit.
C’est la juxtaposition avec la culture rétrograde, arriérée et barbare imposée par les fous de Dieu qui la rend brûlante et terrifiante.
Il en résulte un beau livre à la fin énigmatique. Il vous appartiendra de vous prononcer alors sur la pertinence du choix de l’Académie.
Publié aux Editions P.O.L – 155 pages
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