13.4.13

Le paradis entre les jambes – Nicole Caligaris



Longtemps, Nicole Caligaris a laissé sommeillé ce livre en elle. Ce n’est que plus de trente ans après les faits, une fois le temps ayant marqué sa distance qu’elle prit sa plume et tenta de dire à sa manière, sophistiquée, intellectuelle, bourrée de références et de citations ce qu’au fond elle ne parvient pas véritablement à justifier.

Juin 1981 : Nicole Caligaris participe à un séminaire à la Sorbonne sur le surréalisme. Parmi les étudiants avec lesquels elle partage des dîners insouciants sur les terrasses de Saint-Germain-des-Prés, se trouve Issei Sagawa, âgé de trente-deux ans. Un jeune homme discret, effacé, parlant maladroitement encore le français malgré quatre années passées à Paris, ayant publié de courts textes de qualité mettant en lumière le rôle de la littérature et de la culture occidentale sur la littérature japonaise du vingtième siècle. Un jeune homme fasciné aussi, surtout, par sa camarade de séminaire Renée Hartevelt, hollandaise, dont il ne cesse de dessiner le profil pendant les cours.

Le 11 Juin, il l’invitera chez lui sous le prétexte qu’elle lui lise un texte en Allemand, une langue qu’il a apprise mais qu’il n’arrive pas à prononcer correctement. Là, il la tuera d’une balle dans la nuque, la dépècera et la démembrera en partie, consommera sa chair crue ou après l’avoir cuisinée et prendra trente-deux photos de toutes les étapes de ce rituel macabre et indicible.

Une fois arrêté puis incarcéré, Nicole Caligaris correspondra avec lui au cours de huit lettres dont les fac-similés de Sagawa sont reproduits en fin de ce livre. Une correspondance que l’auteur ne s’explique pas, trente ans plus tard.

Il ne conviendra pas de chercher ici du sensationnel ou de quelconques révélations exclusives sur ce fait-divers atroce. Le propos de l’auteur est au contraire de tenter de comprendre la signification de cet acte dont elle nous donne à voir qu’il est devenu le point de départ de la vie de Sagawa déclaré irresponsable, interné un temps en hôpital psychiatrique avant d’être transféré au Japon et libéré. Depuis, il vit de shows télévisés, de films et de livres dans lesquels il ne cesse de remettre en scène un acte conçu d’emblée pour être scénarisé, relayé par les medias en tous genres.

De là, N. Caligaris laisse courir une plume vagabonde qui dit aussi la violence faite aux femmes à cause de ce triangle en forme de  paradis entre les jambes, de sa révolte contre la condition de femme à épouser, cercle vicieux dont elle a voulu à tout pris échapper se lançant à corps perdu dans la littérature. Une vie littéraire qui commencera précisément au moment de ce meurtre. Les références philosophiques, artistiques et littéraires abondent dans ce livre à la fois touffu et un peu déstructuré. Un ouvrage qui déroutera plus d’un et qui semble destiné avant tout à pardonner son innocence et sa naïveté à une femme qu’elle n’est plus. Un livre exigeant, souvent difficile, plus destiné à une élite intellectuelle qu’au commun des lecteurs.

Publié aux Editions Verticales – 2013 – 171 pages