Yoko Ogawa aime à se saisir de situations au bord extrême de
l’étrange et y faire évoluer des êtres à la fois fragiles, marginaux, à part,
souvent eux-mêmes au bord d’une exclusion voulue ou subie. C’est avec ces
éléments en tête qu’elle compose son dernier roman, « Petits
oiseaux », qui est aussi une réflexion poétique sur le droit à la
différence. Nous allons y suivre à rebours la vie de deux frères dont le
dernier survivant, que les enfants appelaient « l’homme aux petits
oiseaux », vient d’être retrouvé mort.
L’aîné de la fratrie se distingue par son incapacité, depuis
l’âge de douze ans, à parler de façon normale. Le seul langage qu’il connaisse
est le pawa, le langage des oiseaux avec lesquels il dialogue constamment,
niché sans bruit, discret et presque invisible à un œil inattentif, dans un
renfoncement de la volière à l’entrée de l’école primaire située à une courte
distance de leur domicile. Seul son jeune frère le comprend et est capable
d’avoir des discussions essentielles avec lui.
A la mort des parents, les deux frères entament une
cohabitation à leur image : sans heurt, entrecoupée des gazouillis
essentiels, ponctuée de sorties hebdomadaires réglées lors desquelles l’aîné va
s’acheter un bonbon spécial dans une pharmacie presque toujours déserte et qui
prend la poussière. Entre les frères, projeter de partir en vacances, imaginer
le voyage, ce qu’il faut préparer suffit en soi à voyager. La vie, en dehors de
la nécessité pour le plus jeune de se rendre à son travail, est recluse.
Lorsque l’aîné viendra à décéder, le plus jeune reprendra
l’entretien de la volière, unique activité sortant de la routine, à laquelle le
disparu s’adonnait. Il en fera une sorte d’art, de sublimation de la façon de
s’occuper des oiseaux traités comme de véritables êtres à part entière,
sensibles, expression à leur manière d’une harmonie et d’une beauté, notions
essentielles à la culture nipponne. C’est sa façon à lui d’être aux autres,
incapables qu’il est d’avoir des relations normales avec ses pairs humains. Mais
parce que la vie n’est jamais un long fleuve tranquille, ce don de soi pour des
petits êtres faibles et sans défense finira par être perçu par un danger par la
communauté, par peur, par lâcheté aussi.
De façon extrêmement sensible, profondément poétique et
subtile, Yoko Ogawa nous fait réfléchir sur ce qui donne vraiment sens à nos
vies, sur ce que nous sommes capables de voir et d’entendre, sur le mal, les
désillusions, les traîtrises que le commerce des hommes semble inéluctablement
porter en soi. Comme toujours, ce seront les plus faibles, les plus délicats
qui en pâtiront, victimes de leur timidité, de leur gentillesse ou de leur
naïveté.
Encore un beau et délicat roman d’Ogawa, sans être cependant
pour moi son meilleur.
Publié aux Editions Actes Sud – 2014 – 269 pages