26.11.19

Le schmock – Franz Olivier Giesbert



Le schmock, c’est un mot d’argot yiddish pour décrire à la fois le pénis, celui dont on se moque et l’imbécile. Un qualificatif qui paraît parfaitement convenir pour désigner ce petit caporal à l’allure ridicule, médiocre peintre du dimanche, aux idées racistes aussi pestilentielles que son haleine et les pets que ses intestins perpétuellement dérangés ne cessent de lâcher.

Un homme qu’un officier, grand bourgeois munichois, aura eu l’occasion de commander et d’apprécier dans les tranchées de la Première Guerre Mondiale. Une fois le conflit terminé, il en fera l’un de ses invités réguliers, aux côtés de sommités artistiques, de ses déjeuners auxquels participent aussi le couple formé par son ami d’enfance et collaborateur accompagné de son épouse. Le seul « petit » problème est qu’ils sont juifs. Un détail qu’Hitler oubliera d’autant moins que la femme du couple lui aura tenu tête.

C’est en suivant le destin de ces personnages mouvementé et souvent aussi tragique que la période à laquelle ils appartiennent que Franz Olivier Giesbert va tenter de nous donner à comprendre comment un « schmock » sur lequel on ne parierait au départ pas un kopeck va accéder au pouvoir et plonger le monde dans une folie totale annonciatrice des grands génocides qui caractérisent à distance le vingtième siècle.

On y voit à l’œuvre la compromission, des relations sans cesse basées sur un mélange d‘intérêt et de peur, la bêtise la plus totale au service d’hommes prêts à tout pour faire valoir leur projet ou leurs intérêts. Le tout sur un fonds perfide et nauséabond d’anti-sémitisme entretenu par le besoin de désigner une victime que l’humiliation d’une défaite et de ses conséquences en termes de dommages de guerre a rendu aussi vive que purulente.

C’est par les yeux du seul rescapé de cette tragédie humaine, devenu le plus vieil homme du monde retrouvant par hasard son amour de jeunesse que la barbarie fasciste lui avait enlevée que nous suivons tout ceci. Comme toujours avec FOG, le style est au service de l’histoire. On se passionne donc aisément pour ce très beau livre qui rend compte avec talent, élégance, force et un certain humour décalé aussi du moment le plus noir de notre civilisation occidentale.

Publié aux Editions Gallimard – 2019 – 395 pages