C’est avec cette première biographie, consacrée à un
braqueur hors du commun, que Philippe Jaenada allait entamer un tournant dans
son parcours littéraire. Délaissant l’univers purement romanesque parsemé de
réflexions faisant référence à ses propres expériences, il allait désormais se
consacrer à explorer en profondeur les dessous d’affaires sanglantes où
trempèrent des personnages à tous points exceptionnels. Une approche comme
autant de prétextes à mener un travail d’enquête de bénédictin conduisant à des
conclusions radicalement différentes de celles formulées par la puissance
publique pour l’opinion publique au moment où ces différentes affaires furent
révélées et jugées.
Si un écrivain s’était aventuré à imaginer un personnage
romanesque collant à la vie de Sulak, il est probable qu’on lui aurait reproché
un manque de réalisme et une tendance coupable à l’exagération. Pourtant,
l’homme exista et il fallait le talent d’un Philippe Jaenada pour en rendre
compte.
Séducteur absolu, possédant un magnétisme capable de
subjuguer n’importe qui, Sulak, jeune homme surdoué mais mal encadré, pensa
d’abord trouver sa voie dans la Légion. Il s’y fit vite remarquer pour ses
multiples qualités avant qu’un malheureux concours de circonstance ne l’en
écarte à tout jamais. C’est alors que sa vie bascula. Flambeur et toujours en
manque d’argent, il enchaîna les braquages de supermarchés d’abord avant de
s’attaquer aux joaillers et bijouteries de luxe. Préparant ses casses avec
minutie, accompagné d’un bras droit qui contrôlait la mafia yougoslave
parisienne, il avait pour marque de fabrique la rapidité, le sang-froid et
l’absence de toute violence. Son audace lui valut de devenir l’ennemi public
numéro un, narguant toutes les polices de France.
En éternelle cavale avec sa compagne Thalie, une jeune femme
de bonne famille tombée folle amoureuse d’un homme qui l’avait dans la peau,
ils firent la une des gazettes et des commissariats pendant toutes les années quatre-vingts.
Évadé une première fois de manière spectaculaire, il
renouvela son exploit en faisant évader un camarade à qui il avait promis de le
faire sortir. Mais la chance insolente finit par tourner casaque sous les coups
de butoir d’une police sur les nerfs et bien décidée à mettre un terme aux
exploits bravaches d’un type qui la ridiculisaient quelque peu. Arrêté par
hasard de façon rocambolesque, il allait mourir dans des circonstances plus que
troubles lors de son ultime tentative d’évasion.
On sent tout au long de l’enquête de l’auteur l’attachement
et le respect, teinté d’un brin d’admiration, pour un jeune homme qui avait
tout pour réussir : la beauté, le charme, l’audace, le leadership. Malmené
dans sa jeunesse, très vite révolté par les scandales politiques et les abus
engendrés par l’argent, Sulak tomba dans la délinquance tant comme un moyen de
gagner sa vie que, surtout, une manière de faire un pied de nez à une société
qu’il honnissait de plus en plus. Même si l’on ne trouve pas avec cette
première biographie la profondeur des deux suivantes, doublée de cet humour
inimitable où les réflexions et expériences de l’auteur font office de
croustillants commentaires autour d’une montagne de tragique, Sulak n’en reste
pas moins un très bon livre à (re)découvrir.
Publié aux Éditions Julliard – 2013 – 490 pages