2.1.21

Les mille et une vies de Billy Milligan – Daniel Keyes

 Auteur de Science-Fiction, Daniel Keyes fut tellement fasciné par le cas de Billy Milligan qu’il consacra plusieurs années de sa vie à enquêter et interroger en vue de tenter de mieux comprendre le comportement fascinant d’un homme qui allait défrayer chroniques et passions aux États-Unis tout au long d’une décennie.

 

Tout commencera par l’arrestation de Billy Milligan dans des circonstances assez rocambolesques suite à trois tentatives de viol perpétrées sur le campus d’une petite université américaine. Très rapidement, le comportement de l’intéressé constaté tant par les victimes que les policiers ou les avocats chargés de sa défense intrigua au plus haut point. Sans autre transition qu’un cillement du regard, Billy Milligan se transformait immédiatement en une personne radicalement différente de celle observée dans les secondes précédentes. Ses attitudes changeaient tout comme sa voix, son accent, son vocabulaire et sa syntaxe. Un syndrome que l’on caractérise par celui des personnalités multiples. Un syndrome dont on ne sait pas grand-chose et encore loin de faire l’unanimité tant dans le milieu médical que judiciaire.

 

Confié, après une lutte judiciaire intense, aux soins temporaires d’une institution psychiatrique, le médecin qui avait accepté de le prendre en charge fut très vite convaincu de la réalité du syndrome. Billy Milligan, très jeune, fut victime de sévices sexuels répétés de la part de son père et inventa comme mécanisme de défense la convocation de diverses personnalités totalement cloisonnées et chacune chargée d’une mission bien précise. Une fois le processus enclenché, il ne fit que se développer au point de développer jusqu’à vingt personnes toutes différentes, ayant chacune leur propre histoire, leur rôle bien précis et qui vont « se mettre sous la lumière du projecteur » lorsque les circonstances le nécessiteront.

 

Le plus formidable dans ce travail d’enquête de Daniel Keyes est de nous rendre compte avec un réalisme saisissant de la façon dont les choses se passent, de nous projeter quasiment à l’intérieur même de l’esprit de Billy Milligan au fur et à mesure que ses progrès thérapeutiques lui permettent de mieux exprimer lui-même la façon dont les choses se passent. Oubliez alors toutes vos références habituelles et plongez dans un monde où se succèdent un aristocrate anglais chargé de mettre un peu d’ordre aidé pour cela d’un Serbe spécialiste des armes et capable de neutraliser n’importe-quel agresseur en un tour de main, tandis que des adolescents rebelles font les quatre-cent coups, qu’un artiste peintre réalise des tableaux sublimes, qu’un jeune garçon se charge d’encaisser toutes les douleurs, qu’une jeune femme cherche sans cesse l’amour et qu’une enfant regarde mutique ce qui se passe. Et encore ne sont-ce là que quelques-unes des personnalités à se saisir du projecteur à une fréquence d’autant plus rapide que le stress augmente.

 

Pour soigner ou, à tout le moins, contenir ce syndrome il faut des médecins spécialistes et un environnement calme et de confiance. Des conditions difficiles à réaliser quand la presse se déchaîne envers celui qu’elle considère comme un monstre dangereux pour le public et que le système judiciaire est systématiquement plus enclin à punir et enfermer dans des conditions de violence qu’à soigner. L’autre grande réussite de ce livre fort documenté et poignant est de rendre compte de la façon dont le système judiciaire américain fonctionne et comment il rend toute issue positive impossible.

Malgré un style journalistique très basique, le livre se lit avec passion tant tous nos repères sont bouleversés, tant s’ouvre sous nos yeux un abîme insondable, tant la pièce de théâtre qui se joue sans cesse dans l’esprit de Billy dénote une sensibilité et une intelligence très supérieures à la normale mais écrasées par le poids d’une maltraitance enfantine que le monde des adultes n’aura guère considérée et allégée.

 

Publié aux Éditions Livre de Poche – 2007 – 637 pages