10.11.14

Une rançon – David Malouf




En 1943, le jeune écolier qu’était David Malouf se retrouva, comme ses camarades de classe, privé de récréation pour cause de pluie. La maîtresse en profita pour leur faire la lecture du dernier chant de l’Iliade. Ce fut un choc pour Malouf qui dévorait les livres mais n’avait jamais encore entendu parler d’Homère. Un choc d’autant plus violent que Brisbane était en guerre dont l’issue restait encore bien incertaine face à la coalition nippo-allemande.

Soixante-dix ans plus tard, le voici qui affronte un chef-d’œuvre de la littérature mondiale, un gotha inattaquable et l’on reste ébloui par le résultat d’une finesse, d’une intelligence et d’une beauté qui éclairent sous de nouveaux jours ce qui confine à une série de légendes sur fond d’Histoire.

Car le parti-pris de l’auteur est ici d’explorer des zones d’ombre, de se focaliser sur quelques vers sur lesquels le lecteur inattentif passera vite. Lui s’arrête, réfléchit et imagine une histoire où ce ne sont plus les Dieux qui décident de tout et se jouent des hommes mais les hommes qui tentent de composer avec leurs démons, leurs souffrances, leurs croyances et s’arment du courage qu’ils n’ont pas nécessairement eu jusqu’ici.

Voici dix ans que le siège de Troie a commencé. La guerre s’enlise et les murs de la ville tiennent encore bon. Bientôt pourtant, les Grecs auront raison des défenses Troyennes et se livreront aux massacres, viols et pillages qui semblent l’apanage inévitable de tous les conflits.

Mais, entretemps, deux drames intimes se seront produits. Hector, le fils de Priam, le héros de Troyes, aura défié en combat singulier Patrocle, l’ami et amant d’Achille. Patrocle, pourtant équipé de l’armure d’Achille qu’il lui avait dérobé pour combattre à sa place, tombera. Déchiré, tourmenté de douleur, Achille défiera à son tour Hector qu’il tuera. Contrairement aux coutumes de guerre, il ne rendra pas le corps pour qu’il lui soit fait honneur mais le traînera pendant onze jours consécutifs derrière son char. Revenu mutilé, démantibulé, le corps d’Hector reparaît chaque matin à nouveau intact, manifestation subtile du courroux des Dieux qui avertissent Achille, sourd de rage et de vengeance.

Pendant ce temps, Troyes assiste impuissante. Le vieux roi Priam qui s’est toujours montré le défenseur de la Loi et des bonnes coutumes, qui s’est laissé aussi gouverner par son épouse, la mère d’Hector, décidera pour une fois de s’exprimer contre toute convenance. Il imposera à la cour, qui n’en croit pas ses oreilles, de partir seul sur une simple charrette, vêtu d’une tunique blanche, sans signe royal, accompagné d’un charretier issu du peuple, Somax (personnage inventé), pour échanger le corps de son fils aimé contre une rançon constituée des joyaux royaux.

La rencontre entre Priam, dont le nom signifie le « Prix payé » (et nous comprendrons pourquoi le prix fut doublement payé) et Achille constitue l’apogée du roman. Ce sont deux hommes las de guerroyer, qui savent leur fin respective proche, qui souffrent tous deux des trop nombreuses absences causées par les amis ou fils qui tombent sous les coups, les êtres chers éloignés depuis des années passées à combattre qui se font face, se reconnaissent, se respectent.

Pendant dix jours, la trêve règnera, le temps de donner à Hector les funérailles dignes de son rang. Puis la guerre reprendra et Troie tombera. Mais c’est une autre histoire….

Ecrit dans une langue intensément poétique, riche sans être inabordable, profondément classique mais modernisée, David Malouf nous donne à voir une des nombreuses facettes que l’Iliade permet de suggérer en passant. Restent aux auteurs dignes de plume, de talent, de force épique et plein de sensibilité à relever le défi. David Malouf le fait de la plus brillante manière et nous enchante comme rarement.

Publié aux Editions Albin Michel – 2013 – 209 pages