20.3.19

Ma dévotion – Julia Kerninon



Voilà des années qu’ils ne s’étaient plus croisés. Jusqu’à cette rencontre improviste dans une rue de Londres. Elle l’a reconnu tout de suite, malgré la vieillesse, malgré le temps qui a passé. Elle l’a abordé, à sa grande surprise, pour échanger quelques paroles bien fades au regard de ce qu’ils avaient vécu. Alors, aussitôt repartie, elle s’est promis de tout raconter, comme jamais elle n’a osé le faire, dans ce journal intime qui sert de trame à ce nouveau très beau roman de Julia Kerninon.
Ils se sont connus jeunes, encore adolescents, alors que leurs pères respectifs occupaient le poste d’Ambassadeur et de Premier Secrétaire à l’Ambassade de Londres à Rome. Parce que leurs familles, pour des raisons à la fois identiques et spécifiques, étaient incapables de leur offrir l’amour et la sécurité nécessaires, ils sont devenus inséparables. Elle, Helen, la jeune fille persécutée de manière odieuse par ses frères aussi stupides qu’abjects. Lui, Franck, fils unique encore incapable de savoir où orienter sa vie. Et puis, naturellement, ils se sont aimés. Sans doute sincèrement au départ, en tous cas pour elle, Helen.
A partir de là, Helen sacrifia toute sa vie par dévotion envers Franck. C’est elle qui fut sa première amante, elle qui l’hébergea à Amsterdam où elle partit faire ses études. C’est elle, encore, qui, en grande partie, fit de Franck la gloire de peintre qu’il allait devenir, une fois sa vocation trouvée.
Pour lui, elle supporta tout. D’être sa maîtresse, d’être son hôte quand, très vite, il multiplia les conquêtes sous son propre toit sans jamais se cacher. D’être délaissée pour une autre femme, galeriste réputée, qui contribua grandement à faire connaître son amant. D’être là, à nouveau, le moment venu pour lui ouvrir les bras, le consoler, lui servir de femme lorsqu’il le voulait bien, de comptable, de conseillère  et bien d’autres choses encore comme nous le découvrirons.
Là où la plupart des autres femmes auraient pris leurs jambes à leurs cous, elle resta fidèle à ce premier amour, toujours, et sacrifia sa vie, son travail, son mariage même plus tard pour lui. Lui, Franz, un égocentrique jouisseur ne vivant que pour son art, tellement centré sur sa fougue créatrice qu’il en est incapable de simplement percevoir le mal qu’il peut faire aux autres. A des êtres comme lui, il faut des phares solidement ancrés sur leur roc. C’est ce que fut, presque toute sa vie durant, celle qui dévoua son existence à ce demi-dieu à la fois odieux et admirable.
Avec ce nouveau roman, Julia Kerninon qui s’était fait remarquer par son premier roman « Buvard » confirme tout son talent et tout le bien qu’on pense d’elle.
Publié aux Editions La Brune au Rouergue – 2018 – 299 pages