18.3.20

Girl – Edna O’Brien


Quand on interroge Edna O’Brien sur les raisons qui ont pu la pousser, elle la romancière irlandaise âgée de quatre-vingt-huit ans, à s’intéresser à de si horribles évènements auxquels elle est parfaitement étrangère, elle rétorque que c’est par qu’elle aime les Grecs et leur tragédie classique.

De tragédie il est bien question ici et de la plus terrible qui soit puisque le livre commence par l’enlèvement dans leur école en 2014 des 276 jeunes filles nigérianes par Boko Haram. Un enlèvement qui se passe dans le bruit, la fureur, la violence et le sang. Une forme de prélude à ce qui attend ces jeunes filles au bout de la route sur laquelle on les mène.

Edna O’Brien ne nous épargne rien de cette folie humaine collective, rien des actes immondes que tente de justifier un dogme religieux odieux qui pose en règle l’élimination des mécréants et la soumission totale, accompagnée de leur avilissement, des femmes dont les hommes font leurs proies, leurs esclaves et leurs victimes. Car c’est bien au milieu même de ces viols collectifs et répétés, de ces assassinats froids, de ces séances de lapidation quand une femme respectée et respectable est soupçonnée d’adultère que se joue la survie. Du moins, la survie des filles qui n’auront pas encore succombé aux coups des hommes, pas été vendues aux riches arabes du Moyen-Orient en quête de jeunes épouses, version moderne de l’ogre en quête de chair fraîche, ou ne seront pas mortes en couches expulsant le fruit d’une grossesse imposée à des filles à peine nubiles.

Certaines, trop rares, comme cette Maryam imaginée par Edna O’Brien, sont parvenues à fuir. Pour autant, leur histoire ne s’arrêtera pas avec l’évasion de cette version locale du camp de concentration. Commence tout d’abord la survie aléatoire au sein des forêts hostiles, la menace des reptiles venimeux ou des grands fauves prédateurs. Puis, pour les plus chanceuses, la nouvelle menace humaine. Celle formée par une société qui verra revenir une miraculée, objet initial d’une adoration hystérique collective, avant de devenir très vite celui du soupçon. Soupçon d’avoir été manipulée, de vouloir déstabiliser un monde qui se croit à l’abri. Symbole aussi de l’impureté figurée par ce bébé arrivé avec Maryam, fruit d’une union non consentie, et dont la tentation familiale de s’en débarrasser semble bien l’emporter sur toute autre considération.

Non, l’enfer pour ces jeunes filles ne s’achèvera jamais. Elles seront à jamais proscrites, à jamais marquées du fer de la honte, ostracisées à vie et condamnées à une vie de réclusion loin de la cité humaine.

Edna O’Brien signe ici un nouveau roman déchirant, un poignant voyage au cœur de l’enfer.

Publié aux Éditions Sabine Wespieser – 2019 – 250 pages