2.3.20

L’arbre d’obéissance – Joël Baqué


Délaissant les régions polaires qui avaient fait les délices de son précédent roman déjanté « La fonte des glaces », Joël Baqué se projette pour son nouvel opus sous des climats plus arides. Ceux du désert de Syrie plus exactement en ces temps reculés de la chrétienté qui prêtaient encore à toutes les extrémités. Car, on peut penser que pour convaincre des foules encore captivées par les idoles qu’on leur a imposées, peu éduquées mais promptes à être impressionnées, rien n’est plus frappant que l’extraordinaire, l’inconcevable même.

Pour ce faire, certains des convertis à la religion chrétienne encore récente partent s’enfermer dans des monastères pour y vivre une vie rude, faite de renoncements, de souffrances de plus en plus sévères que l’on s’inflige pour convaincre ses pairs d’une piété supérieure à la leur. On y pue de crasse et rivalise de folie au point de songer que bien de ces moines auraient probablement fini de nos jours en hôpital psychiatrique.

Pour les plus extrêmes de ces élus, s’enfermer dans une vie où côtoyer d’autres humains est encore interprétée comme une trop grande joie ou une source de trop grand dérangement. Il leur faudra inventer de nouvelles formes de retrait invraisemblable du monde. Syméon (dit le stylite) fut sans doute l’un de ceux qui frappa le plus les esprits et dont la mémoire se conserve encore de nos jours. Il quitta le monastère, chassé pour ses extrémités en termes de privation qui finirent par faire courir un danger de suicide collectif parmi les porteurs de bures, pour aller se jucher au faîte de colonnes de plus en plus hautes, ravitaillé régulièrement en eau et de frugale nourriture tout juste suffisante à assurer sa survie. Il passa ainsi, retiré totalement du monde, de longues années durant lesquelles les privations, le manque de soins, l’absence d’hygiène finirent par transformer son enveloppe charnelle en un abri pour les vers, les chancres et tout ce que la création engendra pour rendre la vie terrestre des plus douloureuses. Mais, souffrir lui fut une joie car régnait au bout la promesse de l’accession à la vie éternelle et au pardon de l’on se demande bien quels péchés si ce n’est celui d’orgueil sans doute…

Porté par une écriture magnifique et juste, Joël Baqué nous interpelle sur les limites de la folie et les dérives que toute foi extrême, mal contenue est susceptible de produire. Une question de point de vue et d’époque. Gageons que, de nos jours, la quasi-totalité de ces fous de dieu auraient grossi les rangs des asiles psychiatriques…

Publié aux Éditions POL – 2019 – 173 pages