16.3.20

Les terres dévastées -Emiliano Monge



Poussés par la famine, les exactions, les violences en tous genres, les départs massifs des voisins et de la famille, celles et ceux qui ont encore un nom, une vie, une âme et de l’espoir décideront bientôt d’entreprendre à leur tour ce voyage par-delà la frontière. Pour fuir ce Mexique violent, honni par dépit, ils doivent s’en remettre à des bandes organisées qui ont fait du trafic d’êtres humains un business aussi lucratif que terrifiant.

Car ces migrants ignorent que, très bientôt, dès qu’ils auront confié leur sort à ces mains inconnues, ils quitteront l’univers de ceux qui ont encore un nom pour rejoindre une armée des ombres. A peine sortis d’une jungle qu’il leur aura fallu traverser en dépit de mille dangers, les voici entassés dans des camions, enfermés et ligotés. Commencent alors l’enfer, la barbarie, tout ce que l’homme est capable de produire de pire envers d’autres humains.

A la façon d’une tragédie grecque, Emiliano Monge convoque à la fois des extraits de l’Enfer de Dante ou des textes tirés de témoignages réels. Ils forment de petits incipit glissés au milieu de chapitres courts et poignants comme des exclamations, des cris pour dire l’horreur devenue universelle et quotidienne. Les femmes y sont violées en bandes souvent jusqu’à ce que mort s’en suive, les hommes frappés afin de briser net toute velléité de résistance. Ballotés sur les routes les plus dangereuses, les survivants sont vendus à des acheteurs sans scrupules décidés à faire de ces miséreux leurs esclaves.

Pendant que les deux convois qui se sont formés suite à la dernière livraison de chair suivent chacun leur route, une terrible machination, ourdie par des compagnons censés être de confiance, se met en place pour mettre à bas le couple méphitique qui contrôle ce lucratif business et s’accaparer pouvoir et fortune. C’est un voyage vers l’enfer parallèle qui s’embraye et conduira les acteurs, trafiquants et victimes, vers des sommets d’horreur.

Toute la force de ce récit éprouvant est d’user d’un style quasi hallucinatoire. Les êtres y sont souvent désignés non par leurs noms mais par des formules qui évoluent au gré de leur propre descente vers l’enfer. Quand un climax de violence approche (et ils sont aussi nombreux que les nids de poule des routes défoncées), l’auteur use de subtils détours avant de nous asséner un coup et de nous laisser pantelants face à un récit qui semble ne jamais s’arrêter. Cœurs et âmes sensibles s’abstenir ! Voici un témoignage impactant sur ces voyages vers l’enfer que subissent des hordes entières de population à la dérive.

Publié aux Éditions Philippe Rey – 2017 – 346 pages